De Funès, intime

De Funès
Documentaire diffusé sur M6, 103 minutes - Pays : France - 2007
Michel Galabru : "Quelquefois, on disait « Mais il n'est pas commode ». Non, en fait c’était un homme qui était très timide. Et s’il ne vous connaissait pas bien, il avait peur. Mais dès qu'il vous connaissait bien, dès que vous deveniez un ami, alors c'était un enchantement parce que chaque minute, cet homme voyait quelque chose de drôle que vous n'aviez pas perçu et il vous le transmettait. Alors on pleurait de rire avec Louis. Je me rappelle de crises de fous rires extraordinaires."

Benoît Dutertre : "De Funès, c'est encore autre chose. Il a vraiment fabriqué de toutes pièces un personnage qui est une espèce d'ordure, calculateur, antipathique et en même temps il arrive à rendre ce personnage-là réjouissant, on a plaisir à voir, à le retrouver. On est presque dans une espèce de sympathie avec lui, les défauts de de Funès sont presque consubstantiels à l'espèce humaine. Et c'est ça qui est très beau, il les joue, il les surjoue, et en surjouant cette part négative de nous-mêmes, il arrive à la rendre presque sympathique."

Dominique Pinon : "J'aime bien les acteurs qui savent enlever le masque. Je crois que c'était quelqu'un de très pointu sur l’art de jouer, au niveau du rythme. Beaucoup de gens qui ont travaillé avec lui disent, il avait quelque chose qu'on ne peut pas décrire. De Funès, c'est toujours une idole pour moi, quelqu'un d'exceptionnel."

Patrick de Funès : "Il reste toujours une certaine élégance qui a tendance à disparaître de nos jours. Je ne parle pas d’élégance vestimentaire, mais l'élégance dans le comportement, la façon de s’exprimer, l'absence totale de vulgarité."

Jeanne de Funès : "La chose qui me tient le plus à cœur je crois, c'est que pour nos 40 ans de mariage, on était au château tous les deux, il avait déjà eu un infarctus, il était au jardin et il remontait pour huit heures pour prendre le petit-déjeuner avec moi et il me dit : « Ma petite fille, je suis monté directement dans la chambre, c'est pour te souhaiter notre anniversaire, c'est-à-dire que je viens te demander ta main. » J'étais toute émue et il poursuit : « Et tiens-toi bien, je ne te demande pas ta main d’il y a 40 ans, je demande ta main d’aujourd’hui »."

Olivier de Funès : "Il n'était pas triste du tout, il aimait faire rire et il aimait aussi beaucoup qu'on le fasse rire. Il était très bon client, je le faisais rire, mon frère aussi, il adorait ça. Il était gai, il était très amusant et de temps en temps il était triste car il y a des choses tristes dans la vie, ou il était énervé car il y a des choses énervantes. Mais il aimait beaucoup faire rire, ça le valorisait beaucoup, il pensait qu'il ne savait faire que ça alors qu'il savait tout faire."

Il a vraiment fabriqué de toutes pièces un personnage qui est une espèce d'ordure, calculateur, antipathique et en même temps, il arrive à rendre ce personnage-là réjouissant.


Christian Giudicelli : "Louis de Funès nous introduit dans un monde qui est aussi un monde mental, c'est-à-dire quelque chose qui est en dehors de la réalité courante, mais en même temps la réalité courante n'a pas tellement d’intérêt, ce qui nous intéresse surtout chez un acteur comme lui, c'est ce qu'il nous montre au fond du cœur de l’homme. Je crois que c'est quelqu'un qui pouvait très bien exprimer l'émotion, les passions les plus intenses et justement les sentiments qu'on lui prête pas. On a trop fait de lui peut-être un acteur qu'on croit mécanique, mais il n'a rien de mécanique, il y a quelque chose qui est extrêmement au point, et qui mène vers une vérité humaine."

Francis Huster : "C'est un Stradivarius, il peut tout jouer, il valut pour jusqu'en bas, est ce qu'on lui dit jamais à propos de de Funès, c'est que c'est un séducteur, il avait énormément de charme. Ce n'est pas du bla-bla de dire que de Funès est dix fois plus beau que bon nombre de jeunes premiers qui croyaient séduire alors que c'était de la pâte à modeler. Alors que lui, il s'épuisait par une générosité parce qu'on ne veut pas faire rire sans séduire. Et vraiment « mort aux sales cons » qui ont bouleversé la vie de cet homme, qui l’on trainé dans la boue, qui ont dit c'est un grimacier."

Louis de Funès vu par son fils, Patrick de Funès

Mon père était fasciné par les dictateurs, les tyrans en général, le goût du pouvoir, l’attrait de l’argent, des honneurs, la recherche éperdue de la reconnaissance sociale, le fascinaient. Il ne sera jamais un chef d'État à l’écran, il n'en a pas eu le temps, puisqu'il a été malade, il a fait son infarctus juste avant le film Le crocodile où il devait justement incarner un dictateur.

Donc sa carrière suivra celle des dictateurs. Ces derniers par exemple sont souvent de vulgaires petits adjudants, au début de leur carrière. Louis de Funès sera domestique, il ouvre une porte et la referme dans son premier film la Tentation de Barbizon. Et puis, vingt-cinq ans plus tard, à l'apogée, il est Don Salluste, Marquis de Finlas, Grand d’Espagne, il est enfin dans son véritable rôle. Les Stanislas Lefort, Ludovic Cruchot, Victor Pivert, Léopold Saroyan sont eux aussi des petits tyrans domestiques. Louis-Philippe Fourchaume dans Le petit baigneur. Ils sont tout droit sortis de l'imagination de Louis de Funès.

Les Français à l'époque, même la critique, ne ce sont jamais offusqués des déclarations de Victor Pivert et du côté parfois monstrueux de ses personnages. Pourquoi ? Parce qu'ils sont tout de même le reflet des Français vus dans un miroir déformant, mais avec toujours un fond de gentillesse.

Ce n'est pas méchant et en cela, il est en harmonie parfaite avec les grands acteurs français comme Arletty, Michel Simon, Jean Gabin, Raimu, Louis Jouvet, Brasseur, Coluche, Bourvil et bien d’autres Belmondo, Jules Berry, qui avaient un jeu d'inspiration typiquement française. Ce mélange d'humour acide et de gentillesse n'a rien à voir avec le cinéma américain. Lorsqu'il revenait d'une de ses tournées ou après une de ses émissions, il les commentait à table, il nous faisait rire, il inventait des petits textes, des petits gags.

Il nous disait : Mes enfants, vous verrez, je mettrai bien dans un film un monsieur qui marche avec une citrouille sur la tête, dans la rue, rien que pour être célèbre. Ils en sont capables. Ou même un monsieur qui va montrer son derrière, rien que pour qu’on parle de lui. Lorsqu'il sera célèbre, les riches, tout d'un coup vont se mettre à l'apprécier. Des ministres, des princesses, des gens qui lui tournaient le dos lorsqu'il n'était qu'un petit acteur de second rôle, vont se mettre à l’aduler, à l'inviter à leurs festins, et ça va être un merveilleux champ d’expérimentation. Il n'aura pas besoin comme Jane Goodall, la célèbre primatologue observant ses chimpanzés, de marcher à quatre pattes pour se dissimuler, pour se faire tout petit. Lui, au contraire, il lui suffit de s'asseoir dans le restaurant, de les regarder, parler avec eux.

Les origines de Louis de Funès

À la fin du XIXe siècle, les grands-parents de Louis de Funès vivent à Madrid. Le grand-père, Soto Riguera, est avocat des chemins de fer royaux. Ils ont une fille, la future mère de Louis de Funès, elle se prénomme Léonor. Carlos rencontre Léonor au détour d'un éventail nonchalamment agité. Elle parle français, il lui raconte Paris, coup de foudre immédiat, impérieuse envie de mariage, comment convaincre bon Papa ?

Les parents nourrissaient des espérances plus glorieuses pour leur fille, ils étaient loin d'être emballés par un petit avocat de Malaga. Ils prirent le taureau par les cornes et la séquestrèrent dans sa chambre. Léonor en avait vu d’autres. Elle garda donc la tête froide et mit au point une évasion. Les parents, contraints et forcés, accordèrent la main de leur petite chérie et il l'embarqua pour la France.

Le père à ce moment-là, généreux, accordera la dot et aussi une rente. Les jeunes mariés arrivent à Paris. Grâce à l'aide financière de Madrid, ils s'installent dans un somptueux hôtel particulier du Bois de Boulogne. Deux enfants verront le jour : en 1907, Marie, que l'on appellera Mine, puis quatre ans plus tard, Charles.

Grâce à l'aide financière de Madrid, ils s'installent dans un somptueux hôtel particulier du Bois de Boulogne. Deux enfants verront le jour.


Carlos s'improvise diamantaire. Un monsieur le contacte, il désirerait honorer une jeune femme d'un présent digne de sa beauté. Carlos lui apporte à son hôtel ses plus belles pierres. Impressionné par sa distinction, Carlos les lui confie jusqu'au lendemain. L'homme du monde s'évapore, c'était un escroc. La dot de Léonor a été engloutie. Apprenant la nouvelle, M. Soto Riguera père s'effondre sur le tapis du salon, son cœur a flanché. La rente qu'il versait au jeune couple se tarit. Instantanément, les servantes sont congédiées, la calèche est vendue à l'encan, la famille atterrit chez les pauvres, à Courbevoie.

Carlos médite aux terrasses de café, Léonor fait bouillir la marmite. Elle se met intermédiaire entre des fourreurs et ses anciennes relations huppées avec un talent de comédienne dans l’âme. Elle les persuade qu'elles y gagnent en beauté sous une peau. Le charme latin de son mari eut au moins une fois raison de sa rancune, elle accouche le 31 juillet 1914 de Louis de Funès de Galarza.

Les jeunes années

La guerre éclate. Carlos, de nationalité espagnole, n'est pas mobilisé. Certain que le scénario de 1870 allait se reproduire, il se lance dans un élevage de poulets, certain de les vendre à prix d'or aux Parisiens affamés. Hélas, les Allemands sont stoppés sur la Marne, les poulets mourront de leur belle mort.

Revigoré par la victoire lui germe l'idée saugrenue de fabriquer des émeraudes de synthèse. Atteint de daltonisme, il est incapable de distinguer le vert du rouge. Il rapporte chez lui ses dernières fabrications. C'est à Louis, âgé de 5 ans, de donner son avis. Louise regarde le joli petit vert : « Il est jaune, Papa ».

Un chapeau, des souliers sont retrouvés sur le bord du canal. Il y a une lettre : « Je préfère le suicide au déshonneur », écrit Carlos. Léonor prends le deuil, se drape de noir mais ne perd pas le nord. Louis et Charles sont placés internes au lycée Jules Ferry de Coulommiers. « Mes enfants ne seront jamais pensionnaires, c’est trop horrible » ne cessera d'affirmer plus tard Louis de Funès. Cela veut tout dire. Les biographes ont retenu qu'il fit ses débuts d'acteur en cet endroit sinistre. Il tenait déjà un rôle de gendarme dans le Royal Dindon de Bodèse.

À 18 ans, Mine est devenue l'une des plus jolies femmes de Paris. Elle est mannequin chez Fath. Elle se marie à un aviateur, elle tombe dans les bras de Jean Murat, jeune premier en vue de l'époque. Elle est amie de Renée St-Cyr, Arletty, Paul-Emile Victor. Toute la "jet-set", dirions-nous maintenant. Des "snobs", pour Louis de Funès, qui fuira toute sa vie les mondains. Six ans plus tard, Léonor quitte tout juste son drapé de deuil, quand elle apprend de la bouche d'une amie mourante que son mari, bien vivant, mène une vie joyeuse au Venezuela. Son sang impérieux bouillonne d'indignation glorieuse.

Elle se prépare à traverser l'Atlantique. Elle finance l'expédition en bourrant ses malles de manteaux de zibelines, d'étoles de vison, et toutes sortes de fourrures de grand prix qu'elle vendra aux demi-mondaines équatoriales. Elle laisse Louis à une amie, le Dr. Pouchet, qui a mis au point le sirop panglandulaire qui fait grandir. Elle dirige un refuge pour nourrissons abandonnés, dans la Vallée de Chevreuse.

« Chère maman, tu ne peux pas te figurer si mon vélo est propre. Tous les matins, je le nettoie. Le dimanche, je le fais à fond et au pétrole. C'est le plus joli vélo de Millon St Lambert et Chevreuse. Tous les jours, je fais 15 km, dont 5 km à pied, pour accompagner le petit-fils de Mme Galard. "u ne peux pas te figurer combien il y a de violettes. D'ailleurs, je t'en envoie trois. Je termine en t’embrassant très fort, bien fort, ainsi que Papa. Celui qui t’aime. »

A Caracas, Léonor avait retrouvé Carlos. Non seulement il n'avait pas fait fortune, mais il était en plus très malade. Pendant que la grand-mère ramenait son mari, mais elle a trouvé une loque. Il était malade. Donc il est arrivé, chez eux, à Becon les Bruyères. Ça allait très mal. C'est mon père, qui vaporisait dans l'appartement un antiseptique pour la contamination. Comme ça allait mal, il est parti en Espagne. Carlos n’est plus que l'ombre de lui-même. Miné par la tuberculose, il retourne à Malaga, pensant que le climat l'améliorera. Il n'en sera rien.

« Ma petite fille chérie, je reçois ta lettre qui comme d'habitude, me remplit de satisfaction. Je suis toujours pareil, je maigris toujours d'une façon fantastique et même si je mange comme un porc, je perds mon temps.Je crois, ma petite fille, que le médecin s'est fichu de moi, et a trouvé l'astuce pour répéter les visites. Ce que j'ai, ce n’est que le début de la fin. Bisous à tous de votre vieux qui souffre tant. Ton vieux t'embrasse tendrement pour que vous ne m'oubliez pas. »

Le 19 mai, tout est fini. De son père, il reste à Louis le colibri empaillé rapporté du Venezuela. En l'offrant à son fils, Carlos lui a confié : « Caracas, 'colibri’ c'est une 'émeraude’ en argot. » L'acteur gardera l'oiseau toute sa vie.

Non, de son enfance, jamais. De sa jeunesse, plus. Des petits boulots qu'il a faits. Il aimait bien en parler, mais d'une manière rigolote. C'était pour nous faire rire. Il racontait l'oppression des patrons qu'il avait eus, comme il était exploité quand il était emballeur... Ça a été une source terrible après, pour ses personnages.

Des premiers petis boulots...

Ce jeune homme d'allure fragile, est en fait une graine de potache, du bois, dont on fait les cancres de génie. Renvoyé de l'école, de plusieurs places d'apprenti fourreur, et de l'école de photo de la rue de Vaugirard... On cherchera en vain chez lui la moindre trace de paresse ou de méchanceté. Si on le renvoie, c'est qu'il fait rire. Pour une farce, pour un gag et surtout pour la sensation de plénitude provoquée par le rire de ses camarades, il est prêt à braver toutes les autorités. Dandy à la Buster Keaton, Louis de Funès s'essaye à la valse des petits métiers. Au bagou, sans le moindre diplôme, il est engagé comme dessinateur par les carrossiers automobiles Labourdette puis Rosengart. Lassé d'être toujours renvoyé, c'est lui qui démissionne.

Pour une farce, pour un gag et surtout pour la sensation de plénitude provoquée par le rire de ses camarades, il est prêt à braver toutes les autorités.


Lui a échappé au massacre car il avait été réformé. Car on l'a cru tuberculeux, comme son père... Il fumait beaucoup. Il était très maigre. Et alors là, on a tous les papiers. C'était pas des révisions, il était convoqué. Il l'a passé plusieurs fois. Il a raconté, c'est sans doute vrai, qu'on l'a confondu avec un autre, que les médecins ont confondu son dossier avec celui d'un vrai tuberculeux. Le pauvre, sa maladie a dû être réglée... Il a pris un obus de 150 ! Le bacille de Koch a été éradiqué.

Aversion pour eux pour une raison très simple, c'est que son frère avait été une victime de leur incompétence, lors de l'offensive allemande de 1940. Il s'est trouvé à Sault-Iès-Rethel en plein où on n'attendait pas les Allemands, du fait de cette andouille de Gamelin, qui avait concentré toutes les troupes françaises sur la frontière belge. Mon pauvre oncle avait été envoyé là-dedans avec quelques troufions pendant la Drôle de guerre, et ils ont été mitraillés comme des lapins dès que les panzers ont franchi les Ardennes.

... au pianiste de music-hall

Réformé pour la Drôle de guerre, il a le temps d'être comptable, magasinier et étalagiste, avant que les Allemands envahissent Paris. Louis se promène, une pancarte attire son regard : "Cherche pianiste". Passant la porte du piano-bar, il dit bonjour au monde de la nuit. Désormais, de 5 h du soir à 5 h du matin, il fait rire et danser les couples à Pigalle. Louis a déjà en tête une carrière d'acteur. Il s'inscrit au Cours Simon. Mais après ses nuits de marathonien mélodique et malgré ses indéniables qualités, il renonce à l'art dramatique faute de temps et de liquidités.

Il croise aux cours Robert Dhéry et Colette Brosset. Il n'osera pas leur adresser la parole. Il est de passage. Ils sont en dernière année. Il y a ce jeune homme soucieux d'entrer au conservatoire. Il a remarqué Louis, trouvé l'acteur habile. Il saura s'en souvenir. Il se nomme Daniel Gélin. Pour l'instant, un piano anonyme scande le nom de Louis de Funès à la Place blanche ou à Pigalle, le faisant gambiller sur l’air entêtant de "La Vache enragée ».

En 1942, Eddie Barclay et Louis de Funès se partagent le clavier du bar "L'horizon", rue Vignon. Se relayant jusqu’au matin pour le même maquignon, les deux hommes sympathisent. Alors que le jour se lève et que le bar se vide enfin, Eddie, jeune pianiste enthousiaste, vante à Louis les mérites d'une école de jazz. Justement, le jazz, alors interdit, Louis n'aime que ça.

Mon père était donc pendant cette période pianiste à "L'horizon". Il y avait un couvre-feu, dont l'heure variait. Il était extrêmement dangereux pour tous les Parisiens de circuler après le couvre-feu. On était pris en otage et le plus souvent fusillé au Mont Valérien. J'ai lu récemment les mémoires de Joseph Goebbels, le redoutable ministre de la propagande d'Hitler. Lors de la déroute de Russie, il dit que les officiers allemands, qui sont rapatriés de France ne valent plus grand-chose, qu'ils sont ramollis, anesthésiés par la vie parisienne. Et en effet, à "L'horizon", mon père, qui les détestait, il n'y a pas besoin de le souligner, les faisait danser et chanter sur des refrains qu'ils ne comprenaient pas. "Vous l'aurez dans le cul", des choses comme ça. Le champagne coulant à flot, tous ces officiers devenaient des incapables. Je trouve que mon père et d'autres personnes, y compris les barmen et même les filles de joie, ont participé très activement à la défaite des Allemands.

Louis, décidé à pousser d’un cran la subversion des troupes d'occupation, va s’inscrire à l'école dont lui a parlé Eddy Barclay. Il se rend auprès du célèbre Charles Henri, professeur admiré de ses pairs. Il va apprendre l'harmonie, le solfège, et surtout ce jazz qui circule là, sous le manteau. Charles Henri entend Louis jouer une partie de son répertoire. Il l'accepte sur le champ dans sa classe. Il est maintenant temps pour Jeanne de faire son apparition sur la scène intime de Louis de Funès.

La rencontre de Louis de Funès et de Jeanne

Elle est orpheline d'un père tué en 14. Sa mère contracte la fièvre des tranchées en allant reconnaître le corps de son défunt mari. Elle meurt peu de temps après. La jeune fille vit chez sa grand-mère. La journée, elle s'occupe du secrétariat du Professeur Charles Henri. Le jour où Louis arrive au conservatoire, Jeanne Barthélémy classe du courrier.

Un matin, Charles Henri m'a dit : "C'est bizarre. Je vais te présenter à un phénomène qui vient d'arriver. Tu vas l'entendre jouer, il ne connaît pas une note de musique." Et je suis allée dans la classe où il l'avait mis, je me suis assise et ça a été un coup de foudre terrible. Je me suis dit : "Qu'est-ce que c'est ?" J'ai été lui parler et je lui ai demandé des cours. Il m'a invitée chez lui. Il vivait avec sa mère, rue Raffet. J'y suis allée pour prendre ma leçon, et quand je suis sortie, sa mère lui a dit : "Écoute bien. Je veux bien que tu donnes des leçons à des garçons, mais pas à des filles."

Et un matin, Charles Henri m'a dit, comme il voyait Eddy Barclay tourner autour de moi : "C'est curieux, on dirait que tu es amoureuse." "Ah, mais oui. Mais bien sûr. Tu crois juste. Je suis amoureuse." "Ah bon... Mais de qui ?" Il se disait que c'était soit Eddy soit lui. Alors, il les énumérait. Et il est tombé après sur de Funès. Et je lui ai dit : "Tu es tombé à pieds joints." "C'est vrai qu'il est très intéressant, c'est vrai." Il était un peu déconfit.

Sa mère lui a dit : "Écoute bien. Je veux bien que tu donnes des leçons à des garçons, mais pas à des filles."


Louis m'a très vite invitée à aller dîner. Et il avait fait arranger une petite table à côté du piano. Il a commandé, à ce moment-là, du homard ou quelque chose comme ça. Le patron a dit : "Tu sais que tu vas y laisser ta paye ?" Ça avait été une soirée extraordinaire. Et quand il a touché sa paye, il restait plus rien. Quand j'ai appris ça, quelques temps après, quand notre histoire s'est enclenchée, j'ai dit : "Oh, par exemple !" Et j'ai commencé à diriger la bourse. Du temps du conservatoire, j'avais très peu de vacances, en fait. Et un jour, dans le conservatoire, ils ont organisé un camping où on est tous partis pour coucher sous la tente. Les gens ne savaient encore pas que Louis et moi… Les autres élèves ne savaient pas où on en était.

La fille qui dirigeait le camping dit : "Louis ira chercher le pain. Jeanne ira à tel endroit, et Jeanne couchera avec moi sous cette tente." Elle organisait tout, comme ça. La première nuit s'est passée et la deuxième, il m'a dit : "On va partir. Je veux pas rester ici comme ça." À ce moment-là, j'ai téléphoné à ma tante De Maupassant en lui disant : "Je suis libre plus tôt que je ne le pensais. Est-ce que je peux venir ?" "Ma petite fille, je t'attends." "Mais est-ce que vous recevriez un ami qui viendrait avec moi ?" "Certainement. Il y a un lit dans la chambre d'André. Il couchera avec André." "Très bien. D'accord." Et on est montés au château.

Mon cousin a bien arrangé les choses. Il lui a dit, le soir, dans la chambre : "Si tu veux, c'est pas moi qui irais le répéter... Si tu veux partir dans une autre chambre, je te donne la permission. Il a refusé. Il était très droit, mais un brin tête en l'air. Louis est marié et qui plus est, père d'un petit garçon. S'il veut épouser Jeanne, il doit lui en parler. Vers qui pourra-t-il bien se tourner pour démêler cet écheveau conjugal ?

Mine s'est occupée de régler les situations. Dans ma famille, ça a été l'esclandre. Ils m'ont dit de ne pas me lancer dans cette histoire. Mine s'en est occupée. Elle a organisé une visite entre moi et son ancienne femme. Elle lui disait : "Moi, j'accepte tout "pourvu qu'on ne touche pas à mon fils qui est à moi. On n'y touche pas."

Les tourtereaux sont réunis. Louis est adopté par la famille de Jeanne. Leurs fiançailles, organisées au château de Clermont. C'est tant mieux pour tout le monde. En ces temps d'ersatz et de gigot façon courant d’air et de rutabagas, la ferme du château permet de jolies prouesses alimentaires. Jeanne et Louis se marient le 22 août 1943. Le jeune couple emménage dans un appartement de la rue Miromesnil. Devant ses nouvelles responsabilités, Louis de Funès se démultiplie. La journée, il occupe un poste d’étalagiste. La nuit, il égrène de bar en bar, les heures sombres de clients ivres, et fait danser les noceurs qui tentent d'oublier que pour lire les panneaux de circulation sur la place de l'Opéra, il faut savoir l’allemand.

Les premiers pas sur scène

Le 27 janvier 1944 naît Patrick. On agrandit la famille. Il va falloir pousser les murs. Comment trouver l'argent pour mener à bien tous ces projets lorsque les journées sont déjà si courtes ?

Daniel Gélin : "Quelques années plus tard, je prends le métro Villiers. Je vois ce garçon et je lui dis : "Tu n’étais pas chez Simon, autrefois ? Qu'est-ce que tu fais ?" "Je joue du piano, le soir et l’après-midi, je fais des vitrines." Je lui dis : "Des copains me demandent de faire la mise en scène d'un spectacle, pour une seule représentation et sans décor parce qu’on n’a pas les moyens, à la salle Chopin Pleyel." Il marmonne. "T'inquiète pas pour le piano." Il était déjà angoissé. "Faut que j'en parle a Jeannette." "On va voir Jeannette. "Le garçon qu'on m'a imposé n'est pas tellement bon. "Est-ce que tu veux essayer ?" Il est venu répéter à la maison. Mes copains m'ont dit : "Ton copain n'est pas possible. Il ne fait que ce qu'il veut." "Vous inquiétez pas." Le jour de la représentation, l'auteur était là et il a tout ramassé. Et puis, à la rentrée, on m'a demandé de jouer aux Bouffes du Nord une pièce que Reggiani n'avait pas pu créer. C'était "Winterset", adaptation de Jacques Emmanuel et de Marcel Achard. Là encore, il y a avait un gars, qui n'était pas bon. Je dis à Marcel : "J'ai un copain qui serait super dans le rôle du clochard." "Il est pianiste ? Ça m’intéresse beaucoup." Marcel a vite été séduit. Il avait qu'une seule phrase à dire à la fin du 1er acte. Il était sur le banc. Il se levait en disant : "Toujours le fric." C'était fabuleux. Le rideau baissait là-dessus et c'était incroyable."

Daniel Gélin est aussi à l'origine du premier rôle de Louis au cinéma. Il ouvre et referme une porte dans "La tentation de Barbizon". La machine est lancée. De silhouettes en tout petits rôles, on le remarque même si on ne l'utilise pas encore comme il se doit. En 1948, il entame son septième film "Du Guesclin". Il croise un jeune acteur, Gérard Oury, avec qui il ne cessera jamais de s’entendre.

— Tout est réuni pour que nous choisissions le meilleur capitaine de notre armée, capable de bouter Anglais et Navarrais hors du royaume.
— En égard pour mon rang...
— Où étiez-vous pendant cette affaire à Mantes ?
— Voyez mes blessures.
— C'est en Espagne que je peux vous mener. Le pays est bon pour faire vitaille.
— Je connais l'Espagne. C'est un pays sec comme un nombril de couleuvre.
— C'est pour ta panse que tu crains ? Elle n'a rien à perdre. Vous serez bien payés. Je vous ferai délivrer par le roi de France 100 000 florins d’or.
— Bertrand. Pour votre loyauté et votre vaillance, je suis vôtre. Moi et tous les miens. Je le jure en leur nom.
— Dis-nous, Guesclin, que veut ton roi de France, nous faire suer Dieu sait quelle sueur ? Nous noyer comme des chiens galeux ?
— Les chiens galeux, le roi ne les noie pas. Il les fait pendre. Si vos hommes restent dans ce pays, leurs gorges pourraient bien apprendre ce que pèsent leurs culs.
Ils rient.

En 1949, Olivier voit le jour. Louis ne rêve pas de plus beau cadeau. De 1948 à 1952, il ne fera pas moins de 31 apparitions à l'écran. S'il tourne la journée et qu’il a délaissé les pianos-bars, c’est que le soir il joue au théâtre. La vie affective de Louis de Funès tourne maintenant toute entière autour du château de Clermont. Adopté par Marie de Maupassant, Louis est chez lui sur ce petit bout de Loire, qu'il aimera tant, pays et gens confondus. La famille de Funès passera une grande partie de ses vacances d'été à Clermont.

Le soir il joue au théâtre. La vie affective de Louis de Funès tourne maintenant toute entière autour du château de Clermont.


Louis a un petit faible pour maman Titine, la grand-mère de Jeanne. Il se confie à elle comme à personne et lui envoie un mot dès qu'il est en tournage. Tante Jeanne, la sœur de Marie de Maupassant inspira Louis dans quelques compositions. Mais la Loire, c'est aussi la pêche dont Louis est très féru. Olivier, passionné lui aussi, n'hésite pas à se lever à l'aube pour accompagner son père dans ses batifolages. Louis de Funès est et restera un homme simple et de goût. La fréquentation des grands de ce monde, comme il les appelle, le met généralement mal à l'aise. Dans ces milieux, il se sent entouré de la déférence empêtrée qu'on manifeste aux gens de théâtre et de cinéma. Les seules heures qui comptent à ses yeux sont celles passées en famille. Le jeune Patrick, déjà savant fou, bâtit en sourdine des projets d'élevage volaillers dans l’appartement. Pourtant, où qu'il se trouve, Louis travaille son personnage, affine ses effets. Aucun calcul. Il aime tout simplement faire rire ceux qu'il aime.

Louis de Funès enchaîne les petits rôles

Pierre Mondy : "En 1952, il est remarqué par la critique dans "La puce à l'oreille" de Feydeau. Le public ne se trompe jamais et lui fait un triomphe tous les soirs. "Jamais on ne rejouera le rôle de Ferraillon comme l'a joué Louis. Je ne l'ai jamais revu comme il l'a joué."

— Ferraillon !
— Pourquoi tout ce bruit ?
— Ils veulent te tuer.
— Monsieur !
— Allons bon, emmenez-la par là, faites-lui respirer des sels.
— Oui, monsieur.
— Il y a du bruit chez l'Anglais. Qu’est-ce qu’il se passe ? Poche, encore Poche !
— Qu'est-ce que vous dites ?
— Animal ! Cochon !
— Mais monsieur !
— Quoi ?
— Mais je suis M. Chandebise, directeur de la Boston Life Company.
— Voilà ! Il est saoul. Il est complètement saoul.

"Un soir... C'est là où il est génial. Un soir, entrée de l'Anglais, sortie de l'Anglais et bam ! Louis me passe. Bam ! "Qu'est-ce qui vous prend. Je suis M. Chandebise." Et Louis stoppe. Un arrêt énorme. Je me dis qu'il a un trou. Mais un arrêt énorme et tout à coup, doucement, avec une petite bulle, il fait : "Il est saoul, il est complètement saoul." Il vient doucement sur moi, doucement, et bam, le coup de pied au cul. Et là, on a plus dit un mot du texte tellement le public était chaud. On ne pouvait plus parler. On part là-dessus parce que s'il avait fallu attendre la rafale de rires qu'il avait déclenchée là, en faisant attendre le public, qui se demandait pourquoi. Ca, c'est le génie. C'est ce que j'aime... Mais Louis... Sublissime. Sublissime. Avec même un... Comment dire ? Un génie comique. Je l'ai revu avec Jean-Claude Brialy. Je l'ai revu avec Belmondo dans le personnage de Poche-Chandebise. Je n'ai jamais, jamais, jamais…"

Malgré le réseau qu’il s’est créé et son succès au théâtre, Louis n'obtient pas une vraie chance de premier plan. Cependant, de grands noms comme Sacha Guitry ou André Hunebelle, le font tourner régulièrement, mais toujours en second ou troisième couteau. "Pourtant, il tourne" dirait Galilée. Mais si la chance venait à tourner avant qu'il ne ne se soit fait un nom. Toujours, Louis se torture, toujours, Louis se fait du souci.

Cette carrière qui commence tout petit à l'âge de 30 ans et qui n'éclate vraiment pas du tout avant 40 ans, qui se construit petit rôle après petit rôle. La façon dont il a utilisé tout ça pour composer son personnage. C’est-à-dire que souvent, on le voit apparaître en tout petit rôle et déjà, le personnage de de Funès commence à exister. Peut-être parce que dans ces petits rôles, il avait besoin de se faire remarquer. C'était sa volonté qu'on ne l'oublie pas à l'image même s'il passait que quelques secondes.

Ce qui est intéressant, c'est de regarder ses petits rôles. Ils n'étaient pas comiques. C'était des rôles dramatiques. On voyait déjà l'intensité qu'il y mettait pour que ça soit juste, bien sûr, mais aussi un peu personnel. Pour que ça puisse toucher les gens.

On a rencontré Louis de Funès quand il était encore pianiste. C'était un merveilleux musicien. Il jouait chez Gavarni, à Pigalle. On allait souvent boire un demi après le spectacle "Branquignols" qu'on venait de créer. Il jouait du piano comme un Dieu. Il était extraordinaire. Il venait souvent à notre table entre deux morceaux. Il nous disait : "Je voudrais tellement être acteur." Puis, il est passé par la "Tomate".

A la Tomate, cabaret en vogue, il joue du Jules Renard.
— Il me faudrait pour écrire un chef-d'œuvre une belle aventure intime.
— Mon vieux, fais ton chef-d'oeuvre. Tu es cocu.
— Tu dis ça pour me taquiner. Mais ces bretelles ne sont pas à moi ! Applaudissements.
Moralité : toutes les femmes sont volages. Avec qui tromperions-nous nos femmes si toutes les femmes étaient fidèles ?

Après avoir assisté à une représentation, Sacha Guitry lui envoie un portrait de Jules Renard. La légende dit : "A l'excellent comédien. Un dessinateur médiocre."

Derrière moi Le coucou mystérieux, invisible, malfamé, chante. On l'accuse de déposer ses œufs un par un dans des nids de grive, de rouge-gorge, de fauvette, de merle, de bergeronnette. Ah, le beau crime ! Eh bien, et vous ? Avec ça, avec ça, que vous ne déposez jamais vos petits, dans le lit, dans le lit des autres. Mais vous n'avez pas la loyauté de chanter "coucou" pour prévenir !

Dès qu'on a pu engager Louis, c'était pour "Ah ! Les belles bacchantes". On lui a dit : "Tu viens avec nous". Il a éclaté dans cette pièce. Il était extraordinaire. Robert a écrit la pièce pour Louis de Funès et Jacqueline Maillan.

Les premiers succès

Cette même année de 1954, Carlo Rim lui donne un beau second rôle dans "Escalier de service".
— Le dôme n'y est pas encore, M. Grimaldi. Il est trop rond, votre dôme. Eh oui, en forme de poire. Vous comprenez ?
— Je m'étais inspiré de Saint-Pierre de Rome, capito ? Je vais le refaire.
— Ça ira très bien. Mais oui. Et au prix où vous me le faites, je maintiens la commande mais alors, poire !
— Si ! Une poire, comme les poires.
— Au revoir, Grimaldi.
— Je te l'avais dit pour le dôme.

De 1953 à 1955, Louis de Funès aura tourné 37 films. Les rôles vont s'étoffant et comme il en est de même pour son parcours théâtral, les dates du multiple de Funès parfois se télescopent. Son rôle de voisin ébouriffé et bricoleur dans "Papa, maman, la bonne et moi" lui vaut un franc capital de sympathie et la reconduction de son rôle dans le deuxième volet de la série. La fusée de Funès sur son pas de tir entame le décompte de la mise en orbite.

— Mais toi Maurice, qui à 20 ans, dans la Marine, ne pensais qu'à bourlinguer. Au lieu de ton uniforme de facteur, tu porterais peu-être aujourd'hui celui d’amiral.
— Est-ce que j'ai une gueule d'amiral ?
— Non, heureusement.
— Quant à moi, je ne serais pas un simple caissier dans une banque.
— T'en serais peut-être devenu le patron.
— Parfaitement.
— Avec ce bel état d'esprit, tu serais peut-être devenu ministre des Finances. T'as de l'énergie. Tu parles bien. Je le disais pas l’autre jour qu'il a une tête de ministre ?
— Oui, oui.
— Tu m'as traité d'amiral. Je peux te traiter de ministre. C'est pas une injure bien grave.
— Ça ne devrait pas en être une. C'est une mission. Si j’avais été un ministre, j’aurais été un ministre à poigne, je t’en fiche mon billet.
— À force de voir défiler des millions, tu vas devenir capitaliste.
— Tout le monde ne peut pas être anarchiste. Il faut une synthèse de liberté et d'autorité. Un régime fort pour une vraie démocratie. Moi, mon cher mini... Maurice. Moi, je suis un autodidacte.
— Un comment ?
— C'est ainsi qu'on appelle un homme qui s'est instruit par lui-même. Ce qui est mon cas. Un auto-di-dac-te.

On était rue Maubeuge, dans un petit appartement. Un minuscule 3 pièces, en fait. Il y avait un tout petit salon-salle à manger, minuscule. Il y avait la chambre des parents, celle des enfants et une cuisine. Il y avait un petit piano droit. Et là... En fait... C'était les premiers sous. Avec le piano-bar, il gagnait pas grand-chose. Là, il commençait a gagner un peu d'argent. Pas énormément. Donc on avait ce petit appartement. Il en était ravi. C'est là où je l'ai vu bricoler. Après, il n'a plus bricolé mais il savait bien bricoler. Il était très adroit. Il avait refait toute la cuisine de la rue Maubeuge. Il avait fait un immense placard. Je me souviens. Il était immense pour moi. Si ça se trouve, il est petit. Il avait refait les salles de bain, il mettait des étagères; Il s'occupait très bien de ce petit appartement qu’il adorait. J'ai de très bons souvenirs, pourtant j'avais 6 ou 7 ans. J’ai de très bons souvenirs de cet appartement parce qu'il nous l'avait arrangé. C'était charmant. C'était chaud. C'était un endroit... Comme tout ce qu'il faisait, c'était fait avec goût.

En 1955, Pierre Mondy présente Louis à Jean Anouilh. Rencontre décisive. De Funès joue "Ornifle" au théâtre. Il partage les planches avec Pierre Brasseur et Jacqueline Maillan. L’entente avec Brasseur est idyllique et la pièce un triomphe. Louis conservera avec Jean Anouilh une relation épistolaire teintée d'estime réciproque.

Louis passe un cap avec la célèbre Traversée de Paris

Et puis, c'est au cinéma, le rôle de l’atrabilaire Jambier dans "La traversée de Paris". Film très important dans la carrière de Louis car il franchit le cap de la série B. De Funès joue un bon rôle dans un grand film. Forcément, il ne laisse personne indifférent.
— Qu’est-ce qu’il y a encore ?
— Rien mais c'est plus lourd que je ne pensais. Je crois qu'il va me falloir 2000 francs de plus.
— C’est sérieux ?
— Comment si c'est sérieux !
— Rien du tout ! Vous m'entendez ? Rien du tout !
— Je veux 2000 francs ! Nom de Dieu, Jambier ! Jambier, 2000 francs !
— Je lui casse la gueule ?
— Jambier, je veux 2000 francs ! Jambier, 45 rue Poliveau !
— Oui, on le sait. Plus un franc, plus un sou !
— Laissez-moi descendre.
— Jambier ! Jambier ! Jambier !
— Vous êtes pas fou ? On vous entend de partout !
— C’est rien, c’est rien, ça s’arrange.

Je veux 2000 francs ! Nom de Dieu, Jambier ! Jambier, 2000 francs ! Jambier ! Jambier ! Jambier !


Ce personnage déborde tellement par rapport à tout ce qui se trouve autour que finalement, je crois qu'il avait besoin de réalisateurs qui soient en pleine sympathie avec lui et qui arrivent à travailler autour de sa composition. Et donc, finalement, il n'a pas fait tellement de films avec des grands cinéastes. Au fond, est-ce que ça aurait été possible ? Oui, ça a été possible quelques fois. Effectivement, "La traversée de Paris", c'était un grand film et un moment sublime mais ça n'est qu'un moment. Est-ce qu'Autant-Lara aurait pu faire un film d'auteur avec un de Funès du début à la fin ? Je suis pas sûr. De Funès est un personnage qui sort du cinéma dans sa conception classique. Ça ne pouvait fonctionner que dans un rapport de sympathie, d'intimité avec des réalisateurs qui faisaient surtout ce que le public voulait : du de Funès. C'est comme ça. On peut penser que parfois les plus mauvais films, soi-disant, de de Funès sont, d'une certaine façon, aussi les meilleurs. En tout cas, les choses ne sont pas si simples.

Sacha Guitry, l'un des fidèles de Louis à ses débuts, le rappelle sur les planches. La pièce se nomme "Faisons un rêve". Ce que lui demande Guitry, c'est tout simplement de reprendre le rôle du cocu créé par Raimu. Il a pour partenaires deux grandes vedettes du théâtre et du cinéma : Robert Lamoureux, qu'il a croisé à l'écran et Danielle Darrieux. Qui misera un kopeck sur ce petit bonhomme alors qu'il est entouré par de si grandes pointures, dont le sex-appeal n’a plus à faire la retape ?

Louis de Funès rafle la mise, emballe le public parisien, électrisant la salle dès son apparition sur scène. Notre imprévisible outsider est porté aux nues par une presse unanime. Avec Danielle Darrieux et Robert Lamoureux, lui, il faisait le cocu. Il voulait plus jouer avec lui, Robert Lamoureux. Vous aviez le monologue du deuxième acte. C'est uniquement un monologue. Lui, derrière, il écoutait comme ça et avec la main, il faisait ça. Tout le monde se marrait. C'est ce qui s'appelle prendre des effets. L'autre ne comprenait pas que le monologue soit aussi drôle. Quand il a découvert le pot aux roses, il voulait plus... C'est lui qui nous l'avait raconté. Il voulait plus. Il lui a demandé d'arrêter. L'autre, il était là…

1957, enfin un film à lui tout seul. Il a le premier rôle de "Comme un cheveu sur la soupe", mis en scène par Maurice Regamey. Il y incarne un compositeur de chansons qui se jette d'un pont. Ratant son suicide, il sauve une jeune fille de la noyade. Voulant toujours en finir, il engage des tueurs mais il se ravise, trop tard. Il lui faut maintenant se débarrasser d’eux s’il veut rester en vie. Louis, aux côtés de la danseuse Noëlle Adam, est un véritable feu d'artifice. Cet énorme tremplin pour sa carrière a même un retentissement outre-manche : le très sérieux et officiel journal Times voyant en lui, compliment ultime pour Louis qui l'adore, un nouveau Chaplin.

C'était Jules Borkon qui s'en était rendu compte le premier. C'était après "Ah ! Les belles bacchantes". Il l'avait engagé pour trois films, avec "Ni vu ni connu" et "Taxi, Roulotte et Corrida". Je crois qu'il était spécialisé, d'après Colette, dans les revues nues, en province. Il montait des tournées de revues nues. Donc il était allé voir "Ah ! Les belles bacchantes". Il lui a dit qu'il voulait l’engager et lui donner le rôle principal dans trois films. Mon père ne voulait pas. Il ne pensait pas avoir la stature. Il lui a dit: "Si, je vous assure. Je vous ai vu et le public, tous les soirs, au moment où vous apparaissez, réagit."

Louis de Funès commence à enchaîner les films

Donc il a signé ces trois films. C'est Borkon qui l'a découvert, mais Robert Dhéry d'abord, sinon il n’y aurait pas eu "Ah ! les belles bacchantes". Mais pour le cinéma, oui. Cet homme très fin, a appelé ma mère dans son bureau et lui a demandé ce qu'elle faisait de ses journées. Elle lui répond qu'elle s'occupe de sa famille et du ménage, qu'elle a de grosses tâches. "Je vais augmenter votre mari. Vous paierez une femme de ménage." C'est comme ça qu'Emilienne est arrivée à la maison. "Je veux que vous soyez à côte de lui sur le plateau car lorsque vous êtes là, il joue mieux." Jules Borku, producteur de "Ni vu ni connu", a qui l'on fit remarquer que son nom roumain avait en français un petit côté burlesque, changea d'état civil et se fit appeler Jules Borkon.

Pierre Mondy : "C'est "L'affaire Blaireau" d'Alphonse Allais. Il y a un vrai script, un metteur en scène qui est complètement dans son jus, c'est Yves Robert. C'est la même famille. Là, on est tous à Semur-en-Auxois. Il y a Moustache. Il y a Amato. Il y a Claude Rich, Noëlle Adam. Une belle distribution. Louis est absolument somptueux. Là, il est formidable parce qu'Yves et lui se complètent très bien. Yves le laisse très exactement aller là où Louis est bien. Le concours de pêche est formidable. Le truc de taper par terre... Il l'a inventé pendant le tournage. Louis m'a fait piquer des fous rires. Ce qu'il dit dans les interviews... Quand il dit avec une tête très sérieuse : "J'ai pas eu de professeur d'art dramatique, c'était ma mère." Louis imitant sa mère pensant qu'elle avait perdu un billet de 100 balles dans son sac... J'étais mort de rire."

Le 25 octobre 1957, Leonor de Funès de Galarza s'éteint. Louis joue "Faisons un rêve". Sincèrement effondré à l’annonce du décès de sa mère, il refuse pourtant d'annuler la représentation. Sa femme, dans la salle, le trouvera meilleur que jamais. Le soir, il se confie à un calendrier. Il a fait transférer le corps de sa mère en Espagne, car sa mère était morte en 1957 et avait été enterrée au cimetière de Saint-Ouen. Il ne voulait pas la laisser là. Il voulait qu'elle retrouve sa famille, son pays d'origine puisqu'elle était immigrée. Il l'a fait enterrer à Madrid.

Et puis, c'est encore un film signé Borku... Borkon. Il y a un film qui s'est mal passé, où elle n'a pas pu aller, justement de Jules Borkon C'était "Taxi, Roulotte et Corrida". Elle était malade. Elle a été hospitalisée un mois. Une sombre histoire. Il voulait nous donner une petite sœur et puis ça mal tourné.

Ca, ça a été un drame pour lui. Ça a été dramatique. Il est parti seul, muni de toutes mes affaires en pensant que j'allais venir. À l’habilleuse, qui était une fille extraordinaire, il lui disait : "Il faut sortir les affaires de Mme de Funès, et après, on les remettra quand je partirai ailleurs." Il a fait tout le film tout seul, sans moi.
— Quel pitre.
— Fais-en autant.
— Il est vraiment formidable.
— Il a été champion de java…
— Quoi ? Ça n'est jamais qu'une java espagnole.

Louis retrouve Sacha Guitry pour "La vie à deux". Mais le maître est malade. C’est Clément Duhour qui réalise le film. La carrière de Louis prend corps. Il fidélise son public par son talent. Les recettes de ses films fidélisent ses producteurs. Il est le seul qui doute toujours. Hanté par l'idée que cette carrière, pourtant construite et étayée, pourrait faire long feu au château en Espagne.

Pas prêt pour L'avare, Louis triomphe avec Oscar

Au même moment, Louis signe pour les galas Karsenty, des tournées… Il signe "L'Avare". Au moment d'y aller, alors qu'il a signé, à juste titre d'ailleurs, il pense qu'il n'est pas prêt ni mûr pour ça. Ils ont un problème car le contrat est signé. Ils décident de monter "Oscar". Louis part en tournée avec "Oscar" et fait un triomphe. À tel point que Jean-Jacques Vital en entend parler. Il va le voir en tournée et immédiatement, il le prend et remonte la pièce sur Paris. Il l'emmène carrément à la Porte-Saint-Martin. C'est une salle de 1000 places et Louis fait un triomphe.

J’aime beaucoup "La gare Saint-Lazare" de Claude Monet, car ça me rappelle "Oscar". C'est grâce au succès de la pièce à la Porte Saint-Martin que nous avons pu déménager au pont de l'Europe, dans ces merveilleuses volutes de fumée que l'on voit sur le tableau. Sous les fenêtres de ma chambre, j'avais toutes ces locomotives qui enfumaient l'appartement. Mais mon père était content parce que j'avais ma chambre pour préparer mon bac. C'était ça, son but. Évidemment, je ne dormais pas la nuit, il y avait des travaux d’électrification sur la voie et des marteaux-piqueurs.

L'appartement s'est agrandi. On s'est retrouvé rue de Rome, dans un appartement de 5 pièces. Il donnait sur les trains avec des locomotives à vapeur, donc on dormait pas de la nuit, mais l'appartement était spacieux.

Mon père était content parce que j'avais ma chambre pour préparer mon bac. C'était ça, son but. Évidemment, je ne dormais pas la nuit.


Evidemment, "Oscar" tenait. Et Jean-Jacques Vital tenait à "Oscar" et à surtout à Louis. Louis avait dit à Robert : "Il faut que tu m'écrives un truc où je danse, je chante et je joue la comédie." Là-dessus, Robert a télégraphié à ton père, de l'aéroport : "Ai trouvé pour toi ce que tu veux. Tu vas danser, chanter et jouer la comédie." Le télégramme est arrivé au contrôle quand il jouait "Oscar". C'était très rigolo parce que Vital a été au contrôle, il a téléphoné dans la loge de ton père et lui a dit "Il y a un télégramme pour vous". Il lui a répondu "Lisez-le moi." Lui qui voulait que ton père joue encore un an "Oscar", lui a lu: "Ai un spectacle où tu vas danser, chanter et jouer la comédie." Il a plaqué "Oscar" évidemment, qui marchait très fort, car il voulait danser, chanter et jouer la comédie, superbement dans "La Grosse Valse". Il a été acclamé.

Sous l'oeil attentif des auteurs, voici donc cette valise géante, unique objet de ressentiment du douanier Roussel, qu’interprète avec brio de Funès. Il n'est encore que brigadier, l'avancement sera pour plus tard, sur la Côte d'Azur. Malgré la complexité des décors et des trucages, qui inquiétaient Colette Brosset et Robert Dhéry, la machinerie tiendra le choc. Rien n'interdit désormais au brigadier Roussel de voir sortir de la valise un combat naval, un château médiéval, une brasserie, et autres fourbis surréalistes. En ce qui concerne la prestation de Louis, Jean-Jacques Gautier, le tatillon critique du Figaro écrivait : "Louis de Funès, c'est un cas, un phénomène de rythme, d'activité, d'énergie, d'endurance, qui atteint au grandiose dans la cocasserie, la drôlerie, la bouffonnerie. Il a une puissance comique stupéfiante. Il accomplit une performance ahurissante. C’est bien simple, la distribution compte 31 noms, je pose 30 et je retiens 1."

Pouic-Pouic, les Gendarmes... les succès s'enchaînent...

Enfin, en 1963, arrive "Pouic-Pouic", de Girault et Vilfrid, futur tandem des "Gendarmes". Louis y retrouve Jacqueline Maillan. 1964, "Le Gendarme de Saint-Tropez" arrive sur la pointe des pieds. Le producteur, qui ne s’attend pas au succès, demande à ce que la première bobine soit tournée en noir et blanc pour faire des économies de laboratoire.
— Maréchal des logis-chef Cruchot. Ma fille, Nicole. Garde à vous ! J’espère Messieurs que nous ferons du bon travail ensemble. Écoutez-moi bien ! Le gendarme est à la nation ce que le chien de berger est au troupeau. Il faut souvent aboyer, parfois mordre et toujours se faire craindre. Vous êtes les branches. Je suis le tronc. Une seule chose compte : que la récolte soit bonne et que les vaches soient bien gardées.

— Bonjour ma sœur, je suis en panne un peu plus loin, auriez-vous la bonté…
— Bien sûr mon fils, montez.
— Merci, ma soeur.
— Vous priez mon fils ?
— Oui, que Dieu nous ait en sa sainte protection.
— Les voies du Seigneur sont impenetrables. Lui seul connaît la route.
— Tant mieux.
— Il est notre guide. Suivons-le, les yeux fermés.
— Oui mais entrouvrez-les, ça tourne !
— Notre Seigneur a dit: "Aime ton prochain comme toi-même." C'est essentiel s'il on veut se présenter devant lui, en état de grâce. Le savez-vous ? Vous disiez ?
— Eh bien je disais ma Mère qu'il y avait des gravillons.
— Je suis un peu myope. Mère supérieure me taquine toujours à cause de cela.
— Mon Dieu. J'ai un très grand regret de vous avoir offensé.
— Vous savez par cœur votre acte de contrition, c'est bien.
— Je… Quoi ?
— Je prends la ferme résolution avec le secours de votre sainte grâce, de ne plus vous offenser et de faire pénitence. Ainsi soit-il. Vous conduisez... Vous n'avez jamais eu d’accident ?
— Je ne conduis que depuis hier.
— Au revoir, monsieur l’abbé. Je ne peux plus…

Louis de Funès ne peut plus passer inaperçu. Dorénavant, toutes les bobines du "Gendarme" seront en couleur, dorées sur tranche. De plus, cette année 1964 est celle de "Fantômas". Si la critique s’étend surtout sur les prouesses athlétiques de Jean Marais, le public, lui, remplit les salles à cause du commissaire Juve, campé par de Funès.

— Ça suffit ! Tiens, tiens, tu vas voir. Dis donc, ton article, il était faux ?
— Mais c’est exact, il était faux.
— Tu prétends qu'il était faux maintenant que tout le monde croit qu’il était vrai.
— C'est pourtant vrai.
— Qu’est-ce qui est vrai ? Que tout le monde croit qu’il était vrai ?
— Mais non, c’est pourtant vrai qu’il était faux.
— C'est vrai qu'il... Enfin bon, admettons ce mensonge. Pourquoi Fantômas t’aurait-il fait enlever cette nuit si tu avais menti ?
— Justement parce que j’avais menti.
— Tu mens ! Tu mens ! Tu mens ! Il ment. Il ment…
— Est-ce que vous m’avez accusé de mentir quand je disais que j’avais menti, ou d’avoir menti…
— Ça suffit ! Tais-toi ! Tais-toi !
— Ecoute, écoute…
— Je ne te permets pas de me vouvoyer ! Enfin je me permets pas... Enfin, ça suffit ! Là ! Visiblement, cet homme est épuisé, il ne peut plus suivre un raisonnement logique. Nous reprendrons cet interrogatoire demain matin. Messieurs, emmenez-le dans sa cellule.

Les films avec Bourvil : le Corniaud, la Grande Vadrouille

Mais surtout, 1964, c'est l'année du "Corniaud". Oury et de Funès se retrouvent, ils sont maintenant chacun d'un côté de la caméra. Le troisième larron de ce coup de maître est évidemment André Raimbourg, dit Bourvil. Le trio de Funès-Bourvil-Oury est tellement complémentaire, leur connivence si évidente, que le public va les idolâtrer pendant des décennies.

— Oh, non. Alors, non ! Oh, non. C'est une catastrophe ! Regardez-moi ça !
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— On voit bien. Elle va marcher beaucoup moins bien, forcément. Je vous en prie, ne vous gênez pas. Marchez dessus.
— Mais c'est pas grave.
— C’est pas grave, vous en avez de bonnes.
— Mais non, mais non.
— Qu'est-ce que je vais devenir, moi ?
— Un piéton.

Il y a une chose qu'il faut pas oublier, il y a de très bons comédiens, mais il y a aussi les comédiens qui inventent. Ceux-là, ils sont à part. T'as ceux qui inventent, et de Funès, aussi bien que Bourvil, ça inventait. Ça allait très loin. À deux. Il y a un travail qui est fait. Oury, il l'a dit : "Avec ces deux-là, une scène... On la prend là et on la monte là-haut." Ça monte, c'est très haut. Et donc, c'est les acteurs qui inventent. Et alors ça... C'est une autre catégorie, la catégorie suprême.

Elle va marcher beaucoup moins bien, forcément. Je vous en prie, ne vous gênez pas. Marchez dessus.


Gérard a eu beaucoup de talent et beaucoup de chance. Il attirait la chance. Le jour où il a exigé des Allemands pour faire les soldats allemands, dans cette petite séquence où j'ai tourné, donc j'y étais, j'ai vu. Il a dit : "Vous faites quoi quand vous êtes joyeux ?" Ils ont retourné leur chaise et ont fait... Ça n'aurait pas été de vrais Allemands, ils n'auraient pas fait ça. Si Le Corniaud avait fait mouche, à la fin de l’envoi, "La Grande Vadrouille" touche. 17 millions de spectateurs. Colossal record. En 1966, la guerre n'est pas oubliée. On va enfin exorciser le démon en le tirant par la queue. Le film est un chef-d'œuvre et aura sûrement contribué à tourner en douceur une page sombre de notre histoire.

— Je suis fâché que je dois arrêter la musique.
— Vous avez entendu ? C'est quelque chose. Alors écoutez Messieurs, c'est terminé. La répétition aura duré 12 minutes par la force des mitraillettes. Ça va être du joli, ce soir. En voilà 1, en voilà 2, en voilà 3, et voilà un petit fagot.

Il ne faut pas confondre les admirateurs, ceux qui aiment Louis de Funès, son cinéma, et les fans, qui sont des maniaco-dépressifs. Ils ne pensent qu'à ça et ils m'énervent. Ils n’ont que des lubies, ne regardent plus l'acteur. Une des lubies : "Pourquoi n'a-t-il pas fait de cinéma dramatique ?" Il en a fait ! Dans "La Grande Vadrouille", il suffit de regarder la scène de l'escalier. C'est "L'Armée des ombres". Il descend, il est décomposé entre ces deux Allemands qui l’arrêtent. Pourquoi rit-on ? C'est ça, le mystère.

— Evidemment, c'est pas des chaussures pour la marche que vous avez là.
— Puisque vous me le proposez si gentiment, j’accepte.
— Quoi ?
— Que vous me prêtiez vos souliers.
— Vous chaussez du combien ?
— C’est du comme vous.
— Ah bon, ça tombe bien.
— Ah... Là, ça va mieux.
— Attendez-moi, quand même.
— Venez, allons.
— Il faut que je m’y habitue.
— Allons, venez, bon sang !

Des films pour rire de tout, pour rire toujours

— J'ai pris la liberté de promettre au Dr Muller que vous lui donneriez la recette de votre soufflé à la pomme de terre.
— Vous savez que c'est un secret professionnel.
— Cher ami, entre nous.
— Pour vous, monsieur le commissaire divisionnaire. Voilà, vous prenez ein kilogramme Kartoffeln.
— Fur wieviel Personnen ?
— Ça dépend, pour sechs personnes normales ou pour ein personne anormale, une grosse personne. Alors, ein Kilogramm Kartoffeln. Ein Liter Milch. Drei Eier. 90 Gramm Buter. Salz und Muskatnuss. Muskatnuss, herr Muller ! Haben Sie verstanden, herr Muller ? Auf wiedersehen, herr Muller.

Eh oui, avec Louis de Funès, on peut rire de tout sans jamais sombrer dans le graveleux. Pour son deuxième opus, le gendarme part pour New York, sur le France, qui conduit la brigade tropézienne à Manhattan. Louis filme et se laisse filmer par ses compagnons d'aventure. Dans les rues de New York, de Funès pense à Chaplin, à Laurel et Hardy, à tous les compères de Harry Langdon et Mack Sennett. Vêtu de son costume, il s’amuse à marcher dans les pas du policeman Charlot.

Salz und Muskatnuss. Muskatnuss, herr Muller ! Haben Sie verstanden, herr Muller ? Auf wiedersehen, herr Muller.


Après "Fantômas se déchaîne" et "Le Grand restaurant", Olivier comble son père en acceptant de tourner "Les Grandes vacances". Choix judicieux, l'élève se révèle attentif, doué, et beau garçon, ce qui ne gâte rien. Louis de Funès disait : "Lorsque je m'occupe de mes fleurs, je suis au calme, ça me repose. Et je pense beaucoup à la bêtise humaine." S'il a racheté le château de Clermont, abandonné, se délabrant peu à peu, ce n'est pas parce qu'il a tourné "la folie des grandeurs".

L’acquisition du château, demeure ancestrale de la famille de Jeanne, est une preuve supplémentaire de l'amour de Louis pour son épouse. De plus, "La Grande Vadrouille" vient de sortir et Louis ne plus se déplacer sans ameuter un troupeau d'admirateurs. En quel lieu se reposer ? Si ce n'est dans un village où on le connaît déjà, où il a été adopté quand il était pianiste, quand il était figurant.

Ses fils n’auront pas à craindre la promiscuité rampante de ces lotissements pour riches de la Côte d'Azur, véritables paratonnerres à paparazzis. Louis a horreur de ces univers concentrationnaires doublés d’hermine. C'est ici, au Cellier, qu'il trouve le calme. La grandeur du château et du parc sont propices à l'isolement. Il y peaufine sans cesse son prochain gag, son prochain personnage, son prochain film. Marie Clément tient une petite auberge au bord du fleuve. Ici, les idées noires de Louis s'envolent, accompagné d'un petit blanc de Loire et de ces gens simples qui l'envisagent comme un des leurs.

Après avoir tourné l'adaptation d’"Oscar" pour le grand écran, après "Les Grandes vacances", 1967 sera l'année du "Petit baigneur". Louis retrouve avec délice l'univers tendre, loufoque et poétique de Robert Dhéry et Colette Brosset.
"Je suis la fermière. D'ailleurs, je défonce un mur avec. Après, il le prend et il peut plus l’arrêter. Il tourne tout autour de la ferme. Oui, c'était dangereux. C'était un enjambeur de vignes, ça pouvait se cabrer. Là-bas, dans l’Hérault, les vignes sont très hautes. Ce sont des formats spéciaux. Quand on avait fini de s'en servir : "Vous avez eu de la chance, ça peut se cabrer et vous tuer quand ça se retourne."

— Arrêtez ! Arrêtez ! Arrêtez ! Stop.
— Je vais vous aider Monsieur Fourchaume.
— C'est pas la peine.
— Donnez-moi la main.
— Ça va aller. Ça y est, je suis descendu. Regardez, regardez. Hop !
— Au secours ! M. Fourchaume se noie !

"Il doit tomber dans une mare de boue, qui était d'une profondeur extraordinaire. Il est resté courageusement très longtemps dans ce truc. J'aime bien l'eau mais pas la boue. J'aurais pas fait ce qu'il a fait. Il est resté dedans tellement longtemps, on se disait : "Il va ressortir ?"

— Oh, sa casquette... Enfin, il est bien quelque part. Fouillez.
— Oh ! Faites attention, bon Dieu. Donnez-moi la main. Quoi ? Faites attention. J'ai mal ! J'ai rien ? J'ai mal à la tête, c'est interne.
— Vous avez mal ?

"Le Petit baigneur", c'était autre chose. Moi j’assistais au tournage, je voyais que l'opérateur, pouf, il mettait les plein feux sur Colette, le cheval, sur ci, sur ça. Lui, il passait à l'as. J'ai dit : "Quand même, l'opérateur, ça commence à me..." Lui, il s'en rendait pas compte. Il jouait sa comédie, il ne s’en rendait pas compte, mais moi qui étais derrière... Ça commençait à tirer un peu. Et ils ont appelé le producteur. Il est monté de Paris. C'était... Dorfmann, bien sûr. Il est monté de Paris en disant : "Dis donc, si j'ai accepté le film, c'est parce qu'il y a Louis de Funès."

En 1968, Denys de La Patellière a l’idée de réunir Louis de Funès et Jean Gabin pour son film "Le tatoué". Louis de Funès aime faire rire les techniciens lorsqu’il tourne, Jean Gabin, lui, aime le silence et le recueillement. Les hommes ne se trouveront pas mais les comédiens se respectent mutuellement. Comme ce sont deux professionnels, le public ne remarque rien et ne boude pas son plaisir en allant voir le film.

Le Gendarme attire les foules, le public en redemande

"Le Gendarme à New York" a si bien marché qu’il doit faire des petits. "Le Gendarme se marie", tous les espoirs sont permis.
— Alors, ma toute belle ?
— Pardon ?
— On a fini par se faire épingler ! On se retrouve toujours.
— Mais qui êtes-vous ?
— Je suis le père Noël. Et toutes ces petites contraventions, c'est pour vous. J'ai encore un tas de belles surprises !
— Mais enfin qu’est-ce qu’il vous prend ?
— J’ai déjà vu des inconscients, des sauvages et des hystériques, mais des possédées comme vous, jamais ! Vous êtes bonne pour la camisole de force !
— Cruchot !
— La ferme !
— Vous savez pas à qui vous parlez ?
— Je m'en fous !
— Vous savez pas à qui vous parlez !
— Si ! À une folle !
— Non ! C'est madame la colonel de François. Veuve du colonel commandant de Basse-Normandie. Amie personnelle du général De Rochemont. Et du sous-secrétaire d'État Fouchard. Et de quelqu'un d'autre que je ne nommerai pas.

J’ai déjà vu des inconscients, des sauvages et des hystériques, mais des possédées comme vous, jamais !


— Elle est toujours là ? Madame la colonel…
— Je conduis c’est vrai. Si, mais sans infraction grave au Code de la route.
— Sans aucune infraction. C’est moi qui ai pêché par orgueil.
— Oh, non. Oublions ça, voulez-vous.
— Merci.
— Je suis Josépha.
— Je suis Ludovic.
— Et moi, je suis Gerber. Veuillez excuser mon subordonné...
— Chut.
— Mon mari vous ressemblait étrangement, M. Cruchot. Dur, impitoyable mais tellement bon, au fond. Un homme. Il n’empêche, M. Cruchot, que vous me devez des excuses. Demain, 5 heures, chez moi, pour le thé ?

— Oh ! Mon fils ! M. Cruchot, depuis le temps !
— Foncez !
— On va foncer !
— Allez !
— Youpi !
— Allez, vite !
— Qui poursuivons-nous aujourd'hui, M. Cruchot ? Un voleur ? Un assassin ? Un sadique ?
— Ma future femme, ma sœur, on me l'a volée ! Ouh là ! Doucement ! Doucement, bon Dieu !
— Ludovic !
— Madame la colonel, voulez-vous m'épouser ?

Les films de De Funès avec Serge Korber

En 1970, on se souvient que Louis sait danser. Serge Korber lui offre avec "L'Homme orchestre", une comédie musicale à sa pointure. Son fils, Olivier, poursuit son apprentissage.
— Eh bien, allons !
— C'était Pietro.
— Il est passé par ici.
— Oui, et il repassera par là.
— Tu fais : "La la la la la" Pense aux conséquences. Les poupons, les biberons, les berceaux, les landaus, les pipis et les popos.

"L’Homme orchestre" est un film un peu différent ?
— Oui.
— Je pense que c'est, pour vous, un départ sur une voie un peu nouvelle ? Avez-vous l'intention de faire d'autres films qui s'apparentent à une comédie musicale ?
— J'aimerais bien qu’on m’en écrive une, mais j’aimerais beaucoup ça.
— Le film que vous tournez en ce moment, c'est ni un "Gendarme" ni un film musical. Il s'appelle…
"Sur un arbre perché". C’est Korber qui le réalise. Korber qui était le réalisateur de "L'Homme orchestre ». Nous avons Géraldine Chaplin et Olivier de Funès.

Sur le tournage de "L’Homme orchestre", Louis demande à Serge Korber quels sont ses projets. Le metteur en scène lui décrit le film qu'il prépare. Un drame, qui s'intitule "L'Accident". Louis trouve le sujet très bon. Il sait que les meilleurs sujets de comédie sont de sombres drames légèrement décalés. Il persuade Korber que ce scénario ferait un excellent de Funès. Ce film va demander deux tournages. Le premier en extérieur, avec des cascadeurs. Ensuite, on recommence le film en studio. La parcelle de falaise où la voiture est perchée, est construite à l’identique. Les comédiens peuvent enfin s'exprimer en toute sécurité. Grâce à une table de montage installée sur le plateau, ils doivent en permanence se conformer aux mouvements effectués par les cascadeurs lors du premier tournage.

— Cet "Arbre perché", on peut en dire un mot ? J'ai lu des reportages dans la presse... C'est une voiture immobilisée au sommet d'un arbre ?
— C'est d'après un fait divers. C'est une voiture qui perd la route sur une falaise, la falaise de Cassis, qui fait 400 mètres. La voiture fait un tonneau et se retrouve sur un pin parasol. Et c'est arrivé, pas à Cassis, mais c’est arrivé. C'était dramatique. Là, ça prend un tour comique.
— Oui, je pense. On peut ne pas s'avancer en disant que ça prendra un tour comique.
— Vous y restez plusieurs jours ?
— 3 jours.
— Vous avez tourné vraiment avec une voiture dans un arbre ?
— Tous les doubles sont allés tourner sur la falaise. On les mettait avec des treuils... Les alpinistes collaient nos doubles là le matin, et ils ressortaient le soir, à 7 heures, rôtis par le soleil.
— C'est terrible.
— Et nous, on fait tous les raccords en studio. Il paraît que ça ne se verra pas. J’espère. Je préfère.
— Oui, je pense bien.
— C'est un film qui a l'air dangereux mais c'est peut-être le film le moins fatigant. Mais pour les doubles, ça a été horrifiant.

— Un industriel comme vous, un homme politique... Personne ne serait tout seul. Dans la vie, il y a tous simplement ceux qui ont de la chance et ceux qui n'en ont pas.
— La vie, c'est l'énergie. La volonté. Le travail. La malchance n'existe pas. Non, non, restez comme ça. Ne bougez pas. Attendez, je... Qu'est-ce qu'il y a ? Qu’est-ce que vous voyez ? Oh, bon Dieu ! Ne bougez pas, bon sang !

C'est une voiture qui perd la route sur une falaise, la falaise de Cassis, qui fait 400 mètres. La voiture fait un tonneau et se retrouve sur un pin parasol.


Sa vie a été pourtant, dans cette dernière période, assez compliquée aussi. Parce que là, il était devenu star. Les choses se sont compliquées puisqu'il était considéré comme une star, il ne pouvait plus sortir. Comme c'était un homme qui aimait les choses belles mais simples, élégantes mais simples... Le rapport avec l'argent était très complexe. Il était très méfiant sur cette histoire d'argent. Il considérait qu'il ne le méritait pas. Heureusement, il a eu la propriété à Clermont. Il s'est enfermé mais avec tout ce qu'il aime. Il s'isolait dans son jardin. et il était avec les fleurs, les légumes, les pommiers, avec les animaux. Et professionnellement, le problème de l'exigence. Il fallait qu’il soit de plus en plus exigeant vis-à-vis de lui-même et des autres, des metteurs en scène, des producteurs... Il ne pouvait pas se permettre de faire une erreur. Les films reposaient sur ses épaules.

Du Gendarme en balade à Jo

Louis endosse à nouveau l’uniforme et quitte à nouveau la Loire pour Saint-Tropez. Quatrième film de la série, "Le Gendarme en balade" est taillé sur mesure pour le maréchal des logis Cruchot.
— Vous êtes autorisé à faire valoir vos droits à la retraite.
— Garde-à-vous !

Je prends la décision de tuer un maître chanteur qui me demande des millions chaque semaine, ça ne s'arrête pas. Je lui donne ces millions et un jour, je décide de le tuer. Je me documente auprès d'un ami avocat en lui disant que je veux écrire une pièce policière, car je suis auteur dramatique. Je donne rendez-vous au maître chanteur, qui vient, à contre-jour. Je l'ajuste, tout est préparé pour l'ensevelir... Je le descends, je l'enveloppe dans le rideau de douche. Je le colle dans le soubassement de la gloriette, du kiosque, et c'est terminé. Je mets la gloriette là-dessus. Fini, on n'en parle plus. Le lendemain, un inspecteur, qui est Bernard Blier, me demande si je connais M. Jo. Je suis stupéfait car je viens de le tuer. Je lui dis oui. Il me dit qu'on a trouvé mort, chez lui, M. Jo, avec une balle dans la tête. Je lui dis que ce n'est pas possible. Il me montre la photo. Donc je me demande qui j'ai tué. Alors je téléphone à tous les amis. J’ai tué quelqu'un et je ne sais pas qui c’est.

— Je venais vous voir au sujet de ce trou.
— Quel trou ? Prenez du champagne M. Tonelotti, un bon verre de champagne. C'est pas joli, cette musique ?
— C'est du soleil. Je bois à ce bel édifice et à ce qu'il y a dessous.
— Qu’est-ce qu’il y a dessous ?
— Rien.

Je reste devant. C'est attractif. Tu sais que c'est eux et chaque fois... Moi, avec Blier... Les scènes avec de Funès et Blier dans Jo, pour en revenir à ça, c'est invraisemblable. Quand ils se parlent doucement... C'est des passages magnifiques, des trouvailles.

Louis partage désormais sa vie entre théâtre et cinéma

J'ai des souvenirs, dans ce théâtre. Pas dans le foyer, j'étais plutôt de l'autre côté, avec mon père. J'en ai de bons et surtout des souvenirs d'angoisse d'avoir joué cette pièce à coté de lui, avec lui, et un rôle aussi lourd pour moi parce que j’avais très peu d'expérience. Me voilà ! Je suis là, avec lui. Ça devait être vers la fin parce que je devais être plus à l'aise. Au début, j'étais plus tendu. Quand je suis arrivé pour les répétitions, j'ai vu l'ampleur des dégâts, la difficulté de jouer au théâtre. Lui ne faisait rien quand il jouait au théâtre. Il n'allait pas faire de courses... Il restait tranquillement chez lui, à regarder la télévision, à lire, à être très calme pour garder l'énergie pour le soir. Il disait : "Ils sont là, il faut tout donner, le soir." Il voulait toujours donner la perfection, tous les soirs. Il ne s'autorisait pas... de jouer la moindre scène mal. Quand il sentait qu'il était un peu en dessous, il était très, très angoissé.

— Et maintenant, je voudrais bien savoir quel bougre de cochon a fait un enfant à ma fille ! Germaine ! Germaine !
— Qui m’appelle ?
— C'est moi.
— Qui ça, "moi » ?
— Ton mari, Bertrand.
— Voilà, voilà, j'arrive. J'arrive…
— Germaine, j'ai à te parler. Ta fille à un amant.
— Moi aussi.
— Quoi ?
— Moi aussi, j'ai à te parler.

Laurent Gerra : "Si j’avais à l'imiter, j'avais repéré des choses dans les interviews. Il était tellement sensible et pudique dans les interviews, tellement vrai et proche de la nature, je pense... J'en ai eu la confirmation en lisant le livre d'Olivier... Je pense que c'était quelqu'un de très délicat. C’est très difficile de l'imiter parce qu'on peut vite sombrer dans la caricature alors que c'est plus fin que ce qu'on pourrait penser. C'est pas péjoratif, hein !"

— Aujourd'hui, qui sont les successeurs de votre père, pour vous ? Christian Clavier ?
— Faut l'arrêter en douane. C'est pas normal qu'on saisisse des sacs... C'est une contrefaçon à l'état pur. Je serais les douaniers, il passerait plus. C'est même pas de l'imitation, c'est de la contrefaçon et de la récupération. Je suis très net. Il y en a qui se sont inspirés. Mais là, non ! Je suis très remonté.

C’est très difficile de l'imiter parce qu'on peut vite sombrer dans la caricature alors que c'est plus fin que ce qu'on pourrait penser.


"La Folie des grandeurs" devait être le troisième film du trio de Funès-Bourvil-Oury. Malheureusement, Bourvil, gravement malade depuis des années, meurt. Tout étant déjà prêt pour cette superproduction en costumes, on décide de trouver un nouveau partenaire pour Louis de Funès. Ce sera Yves Montand, dans un emploi tout nouveau pour lui.
— Blaze, flattez-moi.
— Monseigneur est le plus grand de tous les Grands d'Espagne. Monseigneur est un bel homme.
— Et comme ça, tu crois que je serais mieux, imbécile ?
— Vous ne m’aviez pas dit que vous étiez gitane ?
— Aïe, aïe, aïe !

— Vos papiers, tout de suite !
— Je voyage toujours sans papier. D’ailleurs, je n'ai ni permis de conduire, ni carte grise, ni assurance, ni vignette.
— Comment vous appelez-vous ?
— Victor Pivert, comme l’oiseau.

— Monsieur ne m’avait pas dit que Monsieur était juif.
— Parce qu’hier, je ne l'étais pas.
— Je ne suis pas juif.
— Vous, M. le rabbin ?

Il est anti tout. Anti-Français, anti-voitures… Et puis anti-Juifs, anti-Arabes, anti-Noirs... Il y a tout, il est anti tout. Les Belges, aussi, il peut pas les voir. Personne. Les Belges, n'importe quoi. Et finalement, je suis beaucoup moins intolérant à la fin du film. Et ça m'a fait aussi beaucoup de bien. Je ne vais pas me confesser, mais j'avais de bonnes petites idées anti... Il doit m'en rester, encore. Comme j'ai dit à Gérard Oury, ça m'a décrassé l’âme.

— Il a dit dans une interview : "J'ai eu des petites idées..." Ça a fait des éclats dans la presse, le lendemain. Des gens se sont demandés : "Est-ce que Louis de Funès était antisémite ?" Ils n'ont rien compris. Il est allé chercher tout racisme, qu'on a tous à un moment dans notre vie. On a tous eu ce moment-là. Notre devoir, c'est de l'extirper et de le foutre en l'air, ce qu'il a fait cent fois mieux que les autres, mais il avait l'honnêteté de dire : "J'ai eu des petites idées…". C'est une honnêteté extraordinaire, très touchant.

Jean Anouilh pense toujours à Louis. Il se souvient d'une pièce écrite quelques années plus tôt : "La Valse des toréadors". Une lettre arrive chez Louis. "J'ai été ébloui de penser que vous pourriez faire vivre cet homme que j’adore, et qui n'a jamais vécu en France. La Valse est ma nostalgie, je voudrais la voir vivre." De Funès accepte. Porté par l'admiration qu'il voue à Anouilh, il se donne tous les soirs comme un lion. Il a signé pour 200 représentations mais s'arrête à la 198e, épuisé.

Épuisé, avec une première alerte cardiaque, Louis part pour Clermont se reposer

Il part se reposer à Clermont. Passant devant un grand cardiologue, de Funès est renvoyé dans ses foyers, gratifié par le grand ponte d'un cœur de jeune homme. Trois jours plus tard, Louis est cloué au lit par une douleur épouvantable au thorax. Faisant preuve d'un courage et d'un sang-froid quasi-martial, son épouse lui sauve la vie par deux fois, surtout en n'écoutant pas le médecin, qui pense à une crise d'aérophagie. Si Louis est encore là, c’est en grand partie grâce à elle.

— L'amour des fleurs, ça réapprend le temps de vivre ?
— Oui, ça redonne le vrai rythme de la nature qui est calme, pas pressé.
— Le rythme des saisons…
— Le rythme des saisons, le rythme des oiseaux, ce que nous n'avons pas dans les grandes villes. J'ai eu une histoire cardiaque un peu sévère, parait-il. C'est ça qui m'a redonné la vie. C'est ici, à Clermont, que je me suis senti vraiment bien. Une bonne salade. Maintenant, on va prendre… ah non, c’est là haut. Je voulais de la ciboulette... Il y a des épinards... Ça va, là, j'ai du persil. Une salade qui pousse, je trouve ça merveilleux. C'est une aventure. Après, on la mange, c'est autre chose. Je fais tout mon jardin sans produit chimique aucun. D'ailleurs, le jour... Je me rappelle, j'en foutais partout. Il y avait des pucerons, un jet ! J'arrêtais pas de mettre des granulés, des horreurs. Le jour où j'ai arrêté ça, il y avait déjà beaucoup moins de pucerons et ça s’est calmé, je ne soignais plus rien. Les plantes n'étaient plus malades. Elles allaient déjà mieux. Elles respiraient. C'est comme nous. Si je vous en mets plein la figure, vous ne serez pas bien. Les plantes, pareil. Ça allait déjà mieux de ne rien mettre. Après, je mets de la corne en poudre, du sang en poudre, de la plume en poudre. Ça pèse plus lourd que la poudre... Que la plume... Vous avez compris ce que je veux dire.

De Funès inaugure dans ce film un jeu d'acteur plus fin, plus humain mais tout aussi inventif et pertinent.


Il faudra le courage du producteur Christian Fechner pour prendre le risque de produire "L'Aile ou la cuisse" de Claude Zidi, sans que de Funès soit assuré ou presque. Coluche, son nouveau partenaire, est enchanté par l'expérience. Louis perçoit Coluche comme la relève. Une connivence très forte liera les deux hommes dès les premiers jours de tournage. De Funès inaugure dans ce film un jeu d'acteur plus fin, plus humain mais tout aussi inventif et pertinent.

— Excuse me, l have reserved one table for... Miam. l am Mr. Young.
— Vin soi-disant du Sud de la France, composé, en fait, d'un tiers de vin italien, d’un tiers de vin grec et le reste de colorants et produits chimiques. Vin que M. Tricatel donne chaque jour en abondance à sa nombreuse clientèle. Attention, ça tache !
— Je crois que ce Tricatel, je vais me le payer.
— Oui ? Mon stylo aussi…
— Vite, une échelle ! Tenez-bon Marguerite, on arrive. Pas d'échelle !

Comme si l'engouement planétaire pour son gendarme ne lui suffisait pas, Louis rempile une cinquième fois à Saint-Tropez, histoire de mater une invasion extra-terrestre.

Du fond du coeur de Louis, un vieux rêve ressurgit : "L'Avare". La pièce le hante depuis toujours. La pièce et Louis ont joué à la Lune et au Soleil et le temps de l'éclipse est venu. Louis adapte la pièce en préservant l’intégrité du texte. C’est Louis qui met le film en scène avec Jean Girault. C'est de Funès qui interprète l’avare.
— Et moi, vouloir ma chère cassette.

Quand il a découvert, dans le lit, la nuit, la scène où cet avare reste seul avec sa valise, comme image, il a donné : "Il s'enfonce en fait dans un désert, entraînant son or." Il m'a réveillée la nuit pour me raconter ça. Je lui ai sauté dessus en disant : "Tu es génial." C'est une scène extraordinaire. Ce bonhomme qui se donne tout à son or, il s'enfonce naturellement dans un désert. Il n'a plus personne autour de lui. C'est une image terrible.

Olivier a préféré aux planches la tranquille puissance des Jumbo Jets. Devenu pilote de ligne, il en profite pour rencontrer sa future épouse, Dominique, entre ciel et mer, le temps d’une croisière, à bord d'un avion dont il est capitaine.

Dominique De Funès : "J'avais 20 ans. J'étais très impressionnée par Louis. Oui, beaucoup. Il a été tellement gentil avec moi quand je suis arrivée dans la famille. Il m'a accueillie les bras grands ouverts. Il me reste beaucoup de choses. Par exemple, sa simplicité. Il vivait d'une façon très simple. C'est-à-dire... Comme tout le monde, avec un sens de la famille énorme. J'étais très frappée par des petits gestes, par sa vie, très simple, même si c'était dans une très jolie maison. Jeanne et Louis vivaient comme des parents, avec Olivier et nous, vraiment, de façon très proche, très paternelle, très humaine."

Le dernier cadeau de la vie à Louis : sa petite-fille Julia

En 1981, Louis retrouve un vieux compère, Jean Carmet, pour "La Soupe aux choux". De Funès et Carmet ont joué Jules Renard ensemble il y a... il y a prescription. Il s'en ira ensuite pour la sixième fois à Saint-Tropez, gentil pèlerin du rire, pour tourner "Le Gendarme et les gendarmettes". Mais cela compte sans doute beaucoup moins désormais que l'amour attentionné qu'il porte à sa petite-fille, Julia. Pour elle, il va interpréter sa plus belle création, l'art d'être grand-père.

Quand Julia est arrivée, ç'a été un bonheur immense. C'était sa première petite-fille, il n'avait que des fils. Donc c'était vraiment un amour fou pour sa petite-fille. C'était magnifique. Il lui parlait, il lui racontait des histoires, petite déjà. Il l’appelait au téléphone. J'ai encore le souvenir de Julia riant aux éclats au téléphone. Je sais qu'il y avait une espèce d’histoire à épisodes avec des éléphants. Cette histoire était entre Julia et Louis uniquement.

Je me souviens de ses gestes, des histoires au téléphone, de son intonation de voix ou de la façon dont il prenait les choses, quand il me découpait mes pommes, mes goûters. C'est surtout des impressions, comme ça. Et avec lui dans le potager, avec les poules. Il m'emmenait sur son tracteur, comme un "vrai grand-père", un grand-père classique. Là, je m'en souviens bien. J'aimais bien ces moments-là.

Il m'emmenait sur son tracteur, comme un "vrai grand-père", un grand-père classique. Là, je m'en souviens bien. J'aimais bien ces moments-là.


Je le vois... la prendre sur ses genoux, sur son petit tracteur, et descendre avec elle, chaque jour, au potager, la ramener ici, à l'heure du déjeuner et... et dire : "Je lui ai appris beaucoup de choses." Il disait à madame : "Elle va être très très bien. Je lui ai appris beaucoup de choses." On a tourné "Le Gendarme et les gendarmettes" à Saint-Tropez et après, ils sont partis aux sports d'hiver. Il a emmené toute la famille, la petite Julia... C'était le grand amour, la naissance d'un grand amour, Julia dans la famille. C'était le bonheur. Julia, elle remplissait le château et le rendait plus joyeux. C'était déjà joyeux mais plus avec elle. Ils sont rentrés des sports d'hiver. Il avait une toux très grave. La toux ne sortait pas. Je pense que c'est ça qui a fatigué le cœur.

La veille, il avait encore mis le matin, sur mon piano, le petit camélia qu’il me mettait chaque jour. Chaque jour depuis longtemps, il mettait un petit camélia sur mon piano. Le matin. Eh bien, la veille il avait encore mis le camélia.

Le 27 janvier 1983, le trop grand cœur de Louis de Funès s'arrête. Cependant, ne nous figeons pas sur le chagrin car, toute sa vie, de Funès en fut l'antithèse. Il est parti monter un grand show avec Buster Keaton, Charlie Chaplin, Laurel, Hardy et son compère, Bourvil.

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